Sur les traces de la figura
Félix Robert, Jean Cazenabe de son vrai nom, fut le premier matador français. Un parcours riche
Une photo dédicacée de Félix Robert, adressée depuis Mexico à son frère Alexandre en 1908. (Photo DR)
Une photo dédicacée de Félix Robert, adressée depuis Mexico à son frère Alexandre en 1908. (Photo DR)
Récemment, à la faveur de l'opération Numérues, la municipalité de Meilhan a baptisé l'artère principale de la commune, rue Félix-Robert. Mais qui était donc cet homme, de son vrai nom Jean Cazenabe, et dont la vie s'apparente à un roman, pour mériter un tel honneur ? Nous nous sommes rendus dans le berceau de sa famille, au Moulin, où il est né le 14 avril 1862, pour en savoir plus.
« Mon grand-oncle était un phénomène », témoigne Henri Cazenabe, un tantinet fier de son ancêtre, en présentant un stock d'archives à la gloire du premier matador français qui estoqua avec difficultés (10 coups d'épée !) son premier toro à Vichy le 15 août 1892, soulevant (déjà) l'ire des antitaurins. « C'était un garçon très leste, un brin casse-cou et malin », poursuit le nonagénaire. Son père était meunier mais ce métier n'était pas fait pour lui. Dernier né d'une fratrie de huit enfants, il a dû « s'expatrier » pour gagner sa vie. « Un jour, il est allé écarter des vaches lors d'une fête de village ; au retour, il s'est caché sous une maie afin d'éviter la belle rouste que lui promettait son grand-père. »
Pour autant, Jean Cazenabe ne renonce pas à sa passion pour les bêtes à cornes. « Il n'aimait pas son prénom et trouvait que Cazenabe n'était pas un nom de torero. Alors, il a pris son second prénom, Félix et y a accolé celui de Robert, qui était le nom de son beau-frère ».
Apprenti sabotier
Le Meilhanais, après avoir été apprenti sabotier, se retrouve garçon de café à Mont-de-Marsan et en 1881, entame une carrière d'écarteur landais classique avant de bifurquer vers le « toreo hispano-landais » alors en vogue, où il trompe et saute les toros de combat, accompagné d'une quadrille composée des Boniface, Nassiet et autre Marin II.
En août 1893, ses exploits de toréador plutôt fantasque, loin de l'orthodoxie taurine (NDLR, il fournissait souvent les toros qu'il affrontait), le conduisent à s'expatrier aux États-Unis, à l'occasion de l'Exposition internationale de Chicago. Il y effectue une tournée triomphale.
À son retour, il s'inscrit à l'école de tauromachie de Séville qui lui délivrera le 15 mai 1894 un diplôme inédit : celui de « matador francès ». Ce brevet de tauromachie lui permettra d'honorer une quarantaine de contrats en France, en Espagne, au Portugal et jusqu'en Algérie.
Corrida interdite à Dax
Le 14 octobre 1894, alors que le gouvernement a durci la loi, il est le héros de la corrida historique (et interdite) de Dax. Échappé des arènes dont les portes, dans la confusion générale, sont restées ouvertes afin de permettre à la maréchaussée d'occuper la piste, et malgré deux estocades portées par Félix Robert, le toro se dirige vers la Fontaine-chaude. Il est alors coincé dans une ruelle - rebaptisée depuis rue du Toro - par son sobresaliente Paul Nassiet qui l'achève, avant d'accompagner le maestro meilhanais en prison. Libéré trois jours plus tard, c'est à Valencia qu'il prendra l'alternative le 18 novembre 1894. Ce n'est que le 2 mai 1899 qu'il la confirmera à Madrid avec Enrique Vargas dit « Minuto » pour parrain, devant des bichos de Pérez de la Concha. Mais avant de devenir une « figura del toreo », le maestro landais, sur les conseils de son entourage, a été contraint de raser la légendaire paire de moustaches qu'il arborait avec fierté ; « ça ne faisait pas assez sérieux », rapporte Henri.
Rêve américain
Ce qui n'empêche pas Robert de connaître son Waterloo à Saint-Sébastien, le 18 août 1895 et la légende dit que la bronca s'est fait entendre jusqu'à Meilhan. « La presse ibérique s'est acharnée contre lui car les Espagnols ne voyaient pas d'un bon œil surgir un concurrent français. » Après une temporada au Mexique, durant l'hiver 1899-1900, il devient le directeur des arènes (éphémères) de Nice, avant de terminer tristement sa carrière européenne puisqu'il refuse d'estoquer deux toros : l'un, à Béziers, le 7 avril 1900 et l'autre, à Montpellier, le 7 juin de la même année.
Il s'exile alors de nouveau au Mexique pour épouser la fille d'un banquier et se constitue un beau pactole en organisant, près de la frontière américaine, des parodies de corrida ainsi que des combats ours-taureaux, pour la clientèle « yankee », avant d'être chassé du pays par la révolution zapatiste. Aux États-Unis, tour à tour directeur de cirque et propriétaire d'une écurie de chevaux de course, il est alors reconnu comme l'une des personnalités les plus huppées de l'Ouest américain.
De retour en France, à Marseille en 1913, il tentera, en vain, de doter la cité phocéenne d'arènes et mourra d'un cancer le 19 janvier 1916, dans sa propriété du château de Sibour. « Il s'est toujours montré généreux avec sa famille qu'il visitait régulièrement et a sans cesse revendiqué son identité landaise », affirme Henri Cazenabe qui a reçu comme un honneur le fait que la municipalité meilhanaise, après celle de Mont de Marsan, ait baptisé une rue à son nom.
Sud Ouest | Guy Bop | 11
septembre 2012